Les Cafés Géographiques sont une association constituée « d’une poignée d’étudiants, anciens khâgneux à la Sorbonne qui, avec leur ancien professeur, veulent poursuivre les discussions de la prépa et refaire le monde. » En France mais aussi partout dans le monde, ces points Cafés sont animés par des membres ayant adhéré à l’association et qui animent ces originaux bistrots autour de débats portant sur la Géographie. Des passionnés, des amateurs mais aussi des spécialistes rejoignent l’étonnant projet, ce qui fait dès lors de ce regroupement une ressource intéressante.
Ils alimentent un site internet, depuis 1998, sur lequel se mêlent toutes sortes de contenus… Bien que l’interface ne soit que très peu attrayante car peu esthétique et mal organisée (on ne sait pas trop où donner de la tête), l’association se rattrape par la richesse des informations qu’elle met à notre disposition. Articles de présentation d’ouvrages, de films et même de cartes postales, dossiers à thèmes consacrés à des villes, partage de recettes culinaires du monde et même de quelques expos… L’association met également en ligne la programmation de ses cafés, par ville, bistrot, et thèmes ou débats qui y seront abordés chaque semaine. Aussi, des comptes rendus des cafés ayant déjà eu lieu ont été rédigés et mis en ligne.
Alors… Pourquoi vous présenter ce site étrange quand bien même la discipline autour de laquelle il se fonde n’est pas la nôtre ? Et bien pour vous montrer à quel point les sciences humaines croisent transversalement leurs différentes « branches » (le mot n’est pas choisi par hasard) d’abord, mais aussi les ressources numériques qui s’y rapportent. Quand on vous parle d’un réseau internet tentaculaire… Et oui ! Nous sommes face à des ramifications virtuelles qui semblent (presque?) inépuisables.
Pour preuve : cet article « Gauguin : colon ou sauvage ? » de Soizic Vasseur. Publié le 2 mars 2004 et visité pas moins de 8605 fois, cet écrit (aussi disponible en version imprimable) retranscrit le débat qui prenait lieu à La Taverne Saint-Germain (qui fait face au célèbre Café de Flore de Paris) le même jour.
Intérêt du débat : l’apport géographique tiré dans l’œuvre de l’artiste.
Gauguin est encore aujourd’hui fortement critiqué d’un point de vue de sa personnalité et de la vie qu’il a mené, dans le Pacifique surtout. Malade, alcoolique, entretenant des relations amoureuses avec de jeunes adolescentes… Son mode de vie choque et fait polémique. L’une des questions du débat : « génie ou salaud ? ». Comme le soulignera très bien Michel Sivignon, on peut parfaitement être les deux à la fois. Mais il faut, avant toute chose, tenir compte de l’époque et de sa mentalité, ainsi que du contexte dans lequel Tahiti était plongé lorsque Gauguin choisit d’y poser bagages…
La colonisation : quand Gauguin arrive là-bas, il est animé par une soif d’ailleurs et de découverte gigantesque. Dans un premier temps, en prenant compte de sa mentalité ainsi que des premiers tableaux qu’il peint, il nous est permis de dire que l’artiste « a consommé l’exotisme » comme un tout autre occidental banal, avec ses envies d’ailleurs, aurait pu le faire. C’est ensuite seulement, dans sa recherche d’un âge d’or du Primitivisme, qu’il se mettra à haïr l’administration coloniale puis ce qu’elle fera subir au peuple tahitien et à sa culture, dont il se fait défenseur.
Gauguin réalise alors que ce qu’il croyait avoir trouvé, à peine, avait déjà disparu sous l’oppression de cette société occidentale envahissante qu’il cherchait tant à fuir. Sans réellement discerner l’art de l’artisanat, la griffe de l’artiste s’est faite de plus en plus sauvage et mystérieuse. Au travers de ses toiles et de ses sculptures, il invente alors un langage, son langage, par lequel il récrée tout un monde en voie de disparition. Et c’est cela, ici, qui intéressait les géographes : le monde peint selon Gauguin. Rêve ou réalité ?
Précurseur des mouvements avant-gardistes qui suivront, Gauguin a instauré un changement du regard de l’occidental sur « l’Autre » (le « sauvage ») et sur « l’art nègre ». Anticolonialisme ? Difficile à dire. Quoiqu’il en soit « La Polynésie en générale est vue comme île de « l’amour », un paradis terrestre. Absence de péché, pas de culpabilité, nudité sans honte. » Et à partir de là… Gauguin ne se déplut pas à choquer.
Musée des beaux-arts de Lyon
Le Musée des Beaux-Arts de Lyon, fondé en 1801, détient en tout 2000 peintures dont 700 sont exposées au public, et parmi lesquelles apparaît, avec d’autres Impressionnistes, Paul Gauguin. Sans pour autant égaler le musée Thyssen-Bornemisza, son site est très bien organisé (plus clair que celui du MoMA) et fournit beaucoup de renseignements à l’internaute. Dans l’onglet « musée », nous avons accès à des informations à propos de sa fondation, de son histoire, et du bâtiment lui-même. Une visite virtuelle est proposée, mais elle s’avère décevante : il ne s’agit que d’une animation en 3D avec un tour panoramique de la cour intérieure. En revanche, les visites 360° sont plus intéressantes, car on a accès directement aux salles, avec la possibilité de faire des zooms modérés sur les œuvres. Dans la salle des Impressionnistes, on retrouve notre cher Gauguin avec son tableau Nave Nave Mahana de 1896. En cliquant sur le cadre, la notice s’affiche, ce qui marque un petit plus pour l’aspect interactif. Mais petit moins : le lien « + d’infos? » ne fonctionne pas, ou est mort. Pour accéder à la fiche de l’œuvre, il faut faire un petit détour par l’onglet « collection » du site, dans la catégorie « peintures ». Ici, le musée présente une sélection d’œuvres assez considérable, de Lucas Cranach à Francis Bacon, en passant par Ingres et Boucher.
Ainsi, nous avons accès à la reproduction de Nave Nave Mahana, avec une notice complète, des détails zoomés du tableau, et un petit commentaire de l’œuvre. Les 3 paragraphes du texte correspondent à la description, l’analyse thématique et l’histoire du tableau au sein du musée. Bien que le commentaire aie l’avantage d’être clair et concis, il reste peu édifiant. C’est alors que la petite case « en savoir + » vaut d’y faire un petit détour. Un petit texte retrace brièvement l’histoire de Gauguin à Tahiti, en soulignant la différence entre le premier séjour, « temps de l’éblouissement« , et le second, temps « de la solitude, de la maladie et de la dépression ».
Le site propose également un extrait (d’une minute 39) de l’audioguide à propos de l’œuvre, ce que peu de musées font. En un premier temps, nous avons à nouveau une description, plus creusée, de la scène et des couleurs. L’accent est mis sur l’aspect primitif de l’œuvre, rendu par l’immobilisme, la monumentalité des figures, la stylisation des formes et le rythme des éléments en frise. Ensuite, une voix d’homme lit un extrait du journal de Gauguin à propos de sa toile, dont il voulait que l’atmosphère soit « grave, comme une évocation religieuse ». À nouveau, on insiste sur l’écart entre la représentation paradisiaque et l’atmosphère réelle dégagée par les figures. On apprend à la fin que le musée de Lyon en fait l’acquisition en 1913, et qu’il s’agit alors de sa première œuvre achetée par un musée français.
Le musée des beaux-arts de Lyon s’avère généreux : il offre un aperçu et un commentaire de ses chefs d’œuvre, ce qui nous permet d’avoir accès de façon facile et agréable à ce très beau tableau de Gauguin, représentatif de son style primitif mais aussi de son état intérieur.
Poster un commentaire
Classé dans Musées et expositions
Tagué Beaux-arts de Lyon, Commentaire, Gauguin, Oeuvres, Primitivisme, Tahiti